Le 16 mai 2011

Culture et société

Let it be

Jean Paré, journaliste et auteur

Une réunion organisée il y a trois ans m'a fait me retrouver à Québec fin juillet, pendant le grand week-end de la nostalgie, de programmation récente. Un pur hasard, donc. Je n'ai pas pu assister au concert de Paul McCartney, mais j'ai «assisté à la foule» avant, un peu pendant, et juste après...

Le pape qui s'est présenté au 400e anniversaire de Québec n'est donc pas celui avec qui certains avaient espéré se faire photographier. Pendant que Benoît XVI préférait bénir les foules aux antipodes, on a fait d'un survivant d'un célébrissime groupe pop des années soixante le pontife de nos temps sans miracles. «Nous sommes plus populaires que Jésus», disait l'un des Fab Four.

L'équivalent du tiers de la population de la ville s'est retrouvé, pour chanter le temps de sa jeunesse sur ces lieux de mort que sont les plaines d'Abraham — mort de pauvres soldats, mort de l'embryon d'empire qu'était la colonie de Nouvelle-France.

Les ados d'hier — plus que ceux d'aujourd'hui — avaient renvoyé les maîtres sermonneurs que sont les politiciens, les historiens et les «logues» de tout acabit.  Car la fête, c'est la fête, non? Ils sont arrivés avec leur nourriture terrestre, comme pour une excursion dans le lointain ailleurs du mont des Béatitudes. On a communié, consommé le même corps mystique dans le chant, version showbiz des cinq pains et deux poissons. On a assisté à la promesse irréalisable : la résurrection, 38 ans après la disparition... Bienheureux ceux qui ont vu même sans avoir cru, et ceux qui ont cru sans avoir vu, devant se contenter de se masser le long de la rue pour voir passer une limousine.

Le spectacle terminé, les sociologues peuvent reprendre du service. Cet événement illustre aussi la mort du rêve d'empire que tant de Québécois, et pas seulement ceux de la ville de Québec, portent inconsciemment en eux comme une grossesse sans fin. Grossesse psychologique, il va de soi.

«Une nation n'est pas seulement constituée par un passé historique qui la détermine passivement, a expliqué le philosophe José Ortega y Gasset, mais surtout par la validité d'un projet historique capable d'entraîner les volontés dispersées.»

The mother of all festivals

Les célébrations du 400e anniversaire de la fondation de Québec n’étaient ni historiques ni politiques, on l’a constaté. Cette sereine anarchie de l’été 2008 a vécu d’autres règles que les règles historiques ou politiques. C’était une fête, tout simplement, ce qui est bon pour le tourisme et, croit-on, pour l’économie. Mais c’était bien davantage, il faut le reconnaître : c’était une célébration destinée à se donner le sentiment d’être partie prenante d’une collectivité dans un monde d’individus rois, partie prenante sans la responsabilité. The mother of all festivals, dirait-on Quai Conti.

Les festivals à répétition dont notre société s’honore ne sont pas des célébrations des arts, du rire, du homard ou du rodéo, mais des festivals de foule. Une foule qui combat sa solitude — «les masses modernes sont des conglomérats de solitaires», écrivait Octavio Paz — et cherche la morale universelle, cosmique, de la fraternité, de l’absence de pouvoir, l’abolition de la rivalité, de la compétition et des hiérarchies.

Tout commence sous prétexte politique, à la Saint-Jean, fête politisée mais dénationalisée, vidée de toute signification historique. L’histoire n’est plus une trajectoire à poursuivre ou à corriger, mais un simple spectacle. En juin dernier, c’est un comédien (Emmanuel Bilodeau, le René Lévesque soft de la télévision) qui mimait celui dont on a fait, à tort ou à raison, l’incarnation principale de la Révolution tranquille. Dans la société de l’image et du spectacle, la politique devient une fiction, l’immanence remplace le temps.

Comme un orgasme

Étonnamment, la masse qui s’était lentement accumulée devant la Citadelle — certains attendaient aux barrières, sous les fenêtres de mon hôtel, depuis 24 heures — s’est dissoute d’un coup comme le carrosse de Cendrillon. Comme un orgasme. On retourne de l’anonymat dans la solitude.

Le 20 juillet, les jours raccourcissaient déjà petit à petit. On allait se préparer à un nouveau printemps, à un nouvel été, à de nouvelles fêtes. Assouvie la soif de rite, il n’y a pas de nouveau départ après la cérémonie. C’est une mue annuelle, pas une mutation.

Let it be.